Et si le hasard n’en était pas un ?
Le hasard. Ce mot résonne comme une énigme, un souffle d’imprévu dans l’ordre des choses. Il nous fait penser aux coïncidences qui nous surprennent, aux rencontres inattendues, aux trajectoires bouleversées par un rien. Et pourtant, derrière ce mot se cache une profonde question : tout cela arrive-t-il vraiment par pure chance ?
Vous êtes-vous déjà demandé ce que le hasard signifiait pour les grandes religions du monde ? Est-il perçu comme un simple accident de parcours… ou au contraire comme l’ombre portée d’une volonté supérieure, invisible mais bien réelle ? Pour y voir plus clair, je vous propose un voyage à travers les traditions religieuses et spirituelles, en suivant les fils qu’elles tissent autour de ce mystérieux concept.
Le christianisme : quand le hasard masque la main de Dieu
Dans la vision chrétienne, le hasard n’est pas vraiment… du hasard. Ou, pour être plus précis : il ne s’agit jamais d’un événement sans cause, mais plutôt d’un moment dont nous ne comprenons pas encore le sens.
Lorsqu’un événement est qualifié de « fortuit » dans la Bible, c’est souvent pour refléter notre propre ignorance : « Le mot hasard exprime notre ignorance des causes réelles d’un événement, mais non l’absence de cause ».
Prenons un exemple concret : dans le livre de Ruth, cette dernière « tomba par hasard » dans le champ de Booz… qui deviendra son futur époux et l’ancêtre du roi David. Une pure coïncidence ? Pas pour la tradition chrétienne, qui y voit une expression de la Providence.
Par ailleurs, certains penseurs contemporains, comme Loren et Deborah Haarsma, suggèrent que Dieu pourrait « utiliser » le hasard comme un outil de création. Une manière de laisser à la nature une forme de liberté, tout en guidant doucement le fil de l’histoire. Une idée audacieuse, mais profondément ancrée dans une théologie de la confiance.
L’islam : la volonté divine au cœur de toute chose
À l’inverse du christianisme, l’islam rejette fermement l’idée que quelque chose puisse se produire en dehors de la volonté divine. Le Coran est explicite à ce sujet : « Rien ne nous atteindra, en dehors de ce que Dieu a prescrit pour nous » (Sourate 9:51). Difficile d’être plus clair.
Dans cette perspective, le hasard n’existe pas. Du moins, pas dans le sens d’un événement sans cause ou sans intention. Tout — du battement d’aile d’un oiseau à la chute d’une feuille — est inscrit dans un plan divin parfaitement ordonné.
Ce principe s’incarne dans le concept de Qadar, la prédestination. Selon l’islam sunnite traditionnel, croire au hasard reviendrait à nier un attribut fondamental d’Allah : sa souveraineté sur la création. C’est pourquoi certains théologiens qualifient de « mécréance » l’idée que des choses pourraient arriver sans que Dieu ne l’ait voulu.
Le judaïsme : entre rejet du hasard et mystique de l’interprétation
Le judaïsme, lui aussi, voit d’un œil méfiant l’idée d’un univers gouverné par le chaos. Le monde a été créé par Dieu, et chaque chose y a sa place. Pourtant, l’histoire juive témoigne aussi d’une richesse d’interprétations : tout n’est pas figé, et la lecture des signes fait partie intégrante de la tradition.
Par exemple, la bibliomancie, cette pratique consistant à ouvrir un texte sacré « au hasard » pour y chercher un message, existe bel et bien dans certaines branches du judaïsme mystique. Même si des figures majeures comme Maïmonide la rejettent en tant que superstition, elles n’en nient pas totalement la portée symbolique.
Cela montre une tension subtile : d’un côté, une volonté d’ordre, de loi, de structure. De l’autre, une ouverture à l’interprétation, à la lecture sensible des événements. Une ambivalence féconde.
L’hindouisme : le karma, ou l’architecture invisible du destin
Imaginez un monde où chaque pensée, chaque geste, chaque mot produit une onde, une résonance dans le tissu du réel. Voilà, en un sens, ce que propose le concept hindou de karma.
Ici, rien n’arrive sans raison. Mais cette raison ne vient pas d’un dieu extérieur qui tiendrait les rênes, elle naît de nos propres actes, passés ou présents. Ce que nous vivons aujourd’hui, selon cette philosophie, est la conséquence de ce que nous avons semé. Pas de punition, pas de récompense arbitraire — juste une forme de résonance.
Comme le souligne Yogadura, « le karma nous rappelle que nous sommes responsables de notre vie et que nous créons notre propre destin ». En ce sens, le hasard est remplacé par une mécanique subtile, impitoyable parfois, mais profondément logique.
La cosmogonie hindoue enseigne par ailleurs que le monde est fondamentalement cyclique : ce qui semble aléatoire pour nous est peut-être simplement un point précis dans un cycle dont nous avons perdu la mémoire.
Le bouddhisme : l’interdépendance plutôt que l’aléatoire
Le bouddhisme, quant à lui, ne s’appuie pas sur une divinité extérieure pour expliquer les événements du monde. Il part d’un autre principe : la coproduction conditionnée, ou pratītyasamutpāda.
En d’autres termes : rien n’existe isolément. Chaque chose est le fruit d’une chaîne de causes et de conditions interdépendantes. Le hasard ? Un mirage dû à notre ignorance des causes.
Cela ne signifie pas que tout est déterminé à l’avance, mais que tout est interconnecté. Nos pensées, nos intentions, nos actes influencent le monde, subtilement mais sûrement. Selon le site Soka-bouddhisme.fr, cette loi s’applique même à l’instant présent : « La simultanéité de la cause et de l’effet signifie que nous créons notre réalité dans l’instant même où nous posons un acte. »
Spiritualités autochtones : écouter les signes du monde
Dans les traditions animistes et autochtones, la frontière entre le naturel et le surnaturel est souvent bien plus floue que dans les religions monothéistes. Ici, la nature est vivante. Et si un événement étrange se produit, ce n’est jamais « juste une coïncidence ».
Une branche cassée, un animal qui traverse votre chemin, un rêve marquant… tout peut devenir message, signe ou mise en garde. La notion de hasard n’est pas niée, mais elle est transformée en dialogue avec le monde invisible.
« l’esprit est présent dans toutes choses, et chaque événement a une signification qu’il convient d’écouter avec humilité. »
Spiritualités contemporaines : quand l’univers vous parle
Enfin, dans les spiritualités dites « modernes » ou « alternatives », le hasard est souvent perçu comme une illusion du mental. C’est là qu’entre en scène la fameuse notion de synchronicité, chère au psychanalyste Carl Gustav Jung.
Pour Jung, certaines coïncidences n’ont pas de lien de cause à effet, mais prennent un sens subjectif pour celui qui les vit. Vous voyez une heure miroir 21h21 ou pensez à un ami perdu de vue depuis dix ans, et il vous appelle dans l’heure. Bizarre ? Peut-être. Mais pas sans signification.
Et puis, il y a la très populaire loi de l’attraction, selon laquelle nos pensées façonnent notre réalité. Autrement dit : ce que vous croyez attire ce que vous vivez. Le hasard, dans cette perspective, n’est qu’une apparence. Tout ce qui vous arrive serait le fruit de vos vibrations intérieures, de vos intentions profondes.
Et si le hasard révélait notre rapport au monde ?
Au fond, ce que nous appelons « hasard » en dit peut-être plus sur nous que sur les événements eux-mêmes ?
Certaines traditions y voient la main invisible d’un dieu providentiel. D’autres, les échos de nos propres choix passés. D’autres encore y entendent le langage discret de la nature ou de l’inconscient. Ce qui est sûr, c’est que nous avons besoin de sens. Nous avons besoin de croire que ce qui nous arrive n’est pas vain, que cela nous dit quelque chose — sur nous, sur le monde, sur notre place dans cet immense enchevêtrement de causes.
Et vous, quelle signification donnez-vous au hasard dans votre vie ? Êtes-vous arrivé sur cette page par hasard ?